Escalader des murs de peinture à l’exposition Nicolas de Staël

Le Pont des Arts la nuit, Paris, Nicolas de Staël, 1954, huile sur toile, collection privée. (Toutes les images appartiennent à l’auteure, prises avec l’autorisation pour The CLC).

Au Musée d’Art Moderne de Paris, une rétrospective sur l'œuvre de Nicolas de Staël fermera ses portes le 21 janvier 2024. Staël, français, né en Russie, a mené une carrière artistique diversifiée tandis qu’une vie désormais légendaire pour ses histoires d’amour et ses voyages en Europe ; il meurt en se jetant de la terrasse de son atelier à Antibes. En face des toiles recouvertes d'épaisses couches de peinture, comme des murs, la spectatrice peut se sentir égarée et le déchiffrement de cette œuvre entourée de légendes n’est pas évident. La co-commissaire Charlotte Barat explique comment elle a procédé.

Pourquoi exposez-vous Nicolas de Staël maintenant ? 

Depuis quelque temps, le Musée d'art moderne de Paris tient à renouveler le regard sur des artistes français. Ça faisait vingt ans qu’il n’y avait pas de grande exposition sur Staël. C'est une génération : il était temps que quelqu'un prenne le sujet. D’ailleurs, c’est un nom que beaucoup de gens connaissent grâce à la biographie Le Prince foudroyé [de Laurent Greilsamer (1998)], qui parle de sa fuite de Russie, de son histoire d'amour, de cette succession de drames sur un temps très court. Mais si on leur dit, « citez-moi quelques tableaux qu'il a faits », c'est moins évident. Cette exposition permet de remédier à ça, de revenir aux œuvres.

Les premières œuvres peuvent paraître assez difficiles du fait qu’elles sont abstraites. 

Tout à fait. Au début de l’exposition, c'est encore lui-même qui se cherche. Il y a un peu de lumière qui ressort de derrière les œuvres mais on reste sur quelque chose de très sombre. Son œuvre se renouvelle énormément : parfois, les gens disent qu’on ne peut pas croire que c'est le même artiste au début et à la fin de l’exposition.

Il y a une citation que j'aime beaucoup de Staël. Il dit : : « j'essaye de faire toujours plus simple, c'est ça qui est si difficile pour moi ». Je pense que son art est quelque chose qui, petit à petit, va laisser rentrer la lumière, va respirer et s'apaiser, va aller vers cette simplicité-là.

Composition, 1943, Fusain gommé sur papier, 33 x 22 cm, Collection particulière Les Martigues, Ménerbes, 1954, Huile sur toile, 146 x 97 cm, Kunst Museum Winterthur.

Comment avez-vous choisi les œuvres pour mettre cela en valeur ?

Staël a travaillé très peu de temps. Sa carrière a seulement duré 12 ans, mais pendant cette période, il a fait plus de 1 000 tableaux et plus de 1 000 dessins. Donc, la particularité de l'exposition, c'est qu'il y avait un peu un travail de chasse au trésor, de détective. On a pu trouver les œuvres grâce au au bouche à oreille ou le coup de chance. Moi, je trouve qu’une des beautés de notre métier, c’est qu’à chaque nouveau projet d'exposition monographique, on va se lancer complètement dans la vie d'un nouveau peintre. En trois ans de travail, je suis devenue une spécialiste de Staël.

Alors, pourquoi est-il moins bien connu à l’étranger ? 

C'est une bonne question. D’abord, la biographie n’a pas été traduite en anglais. Puis, après la Second Guerre mondiale, toute la place a été prise par cette génération d'artistes américains, comme Jackson Pollock. C’est le cas même si, de son vivant, Staël était représenté par la galerie Paul Rosenberg à New York et qu'aujourd'hui, si on faisait une carte de tous les musées où il y a des Staël, on en trouverait même plus à l'étranger. Il y en a en Espagne, aux Etats-Unis, emprunté à la Tate en Angleterre, à Cambridge aussi. On a été très bien accueilli au Fitzwilliam Museum. On a vu une dizaine de leurs tableaux et on a eu des très beaux prêts. C’est triste : ils ne les montrent jamais parce qu’ils n’ont pas l’espace. Donc à l’étranger, son œuvre est en attente d'être réveillée.

Comment faites-vous pour la réveiller auprès d’un public plus large ?

C'est un enjeu permanent. Il y a un vrai effort fait de la part de mes collègues d'aller chercher les jeunes, les publics défavorisés et d’accompagner de près la visite. C'est dommage de se priver des musées d’art parce qu’on pense qu'on n'a pas les clés pour apprécier. Les textes qui complètent les œuvres sont incontournables. Ils sont faits pour donner quelques clés au spectateur, pour aider à voir. Mais les images, c'est moins difficile dans un sens que de la poésie. Avec Staël, je suis frappée à quel point tout le monde peut être ému par cette peinture. Les paysages nous parlent immédiatement. Ce n'est pas une peinture érudite, complexe, sophistiquée. C'est un homme qui a tout mis et c’est une émotion qui ressort.

L’exposition « Nicolas de Staël » est ouverte à tous jusqu’au 21 janvier 2024 au Musée d’Art Moderne de Paris.

Le billet est gratuit pour les moins de 18 ans et les étudiants en archéologie et histoire de l’art. Il coûte 13,00 € pour les visiteurs de 18 à 26 ans.

Climbing walls of paint at the Nicolas de Staël exhibition

The Pont des Arts at Night, Paris, 1954, oil on canvas, private collection. (All images belong to author, taken with permission for the CLC).

At the Museum of Modern Art in Paris, a retrospective of Nicolas de Staël’s artwork will close its doors on 21 January 2024. Staël, a Frenchman born in Russia, led a mercurial artistic career and a life that became legendary for its passionate love affairs and travels across Europe. He died throwing himself off the balcony of his studio in Antibes. Stood before canvases slapped with thick layers of paint like fortifications, any viewer might feel deserted, hardly helped by the myths that swirl around the artist’s life. In this interview, co-curator Charlotte Barat explains how she helped her viewers scale those fortifications.

Why exhibit Nicolas de Staël now?

For some time now, the Museum of Modern Art in Paris has been keen to look at French artists with new eyes. There hasn't been a major exhibition on Staël for twenty years. Twenty years is a generation: it's about time someone take on the mantle. Many [French] people are familiar with Staël thanks to his biography, Le Prince foudroyé [‘The Stricken Prince’ by Laurent Greilsamer (1998)], which describes his escape from Russia, his love affairs and the succession of dramatic events that took place over a very short period. But if you say to them, "Name some of the paintings he did," then it's less obvious. This exhibition is a way of remedying that, of getting back to the artworks.

The first works are abstract and can seem somewhat difficult.

Absolutely. At the beginning of the exhibition, Staël is still finding himself. A bit of light shines through from behind his works, but they’re still very dark. Sometimes, people say that they can’t believe it’s the same artist who opens and closes the exhibition. There's a quote I really like from Staël. He says: "I always try to make things simpler; that is what is so difficult for me." I think that his art is something that, little by little, lets in light, breath and peace, and moves towards that simplicity.

Composition, 1943, Charcoal on paper, 33 x 22 cm, Private collection Les Martigues, Ménerbes, 1954, Oil on canvas, 146 x 97 cm, Kunst Museum Winterthur.

How did you choose the works to highlight this?

Staël worked for a very short period. His career only lasted 12 years, but during that time he produced over 1,000 paintings and more than 1,000 drawings. So, the special thing about curating this exhibition was that it was like a treasure hunt, like being a detective. We found the works by word of mouth or by chance. Personally, I think one of the beauties of our profession is that with each new monographic exhibition, we throw ourselves completely into the life of a new painter. In three years' work, I've become a Staël specialist.

So why is his work less well known abroad?

That's a good question. First of all, the biography was not translated into English. Then, after the Second World War, all the space in the art world was taken by that generation of American artists, like Jackson Pollock. That is the case even though, during his lifetime, Staël was represented by the Paul Rosenberg Gallery in New York and today, if you were to draw up a map of all the museums in the world where there are Staël paintings, you would find more abroad than in France. There are some in Spain, in the United States, borrowed from the Tate in England, and in Cambridge too. We were very well received at the Fitzwilliam Museum. We saw about ten of their paintings and got some very fine loans. It's sad: they never show them because they don't have the space. So abroad, his work is waiting to be revived.

What are you doing to revive his work to a wider audience?

That is a perpetual challenge. My colleagues are making a real effort to reach out to young people and disadvantaged groups, and to provide close support for their visits. It's a shame to miss out on art museums because you think you don't have the keys to appreciate the art. The texts that complement the works are essential. They are there to give the viewer a few keys, to help them see. But images, in a way, are less difficult than poetry. With Staël, I'm struck by the extent to which everyone can be moved by his painting. The landscapes speak to you immediately. It's not an erudite, complex, sophisticated kind of painting. This is a man who has put everything into his art, and it's emotion that leaps out.

The "Nicolas de Staël" exhibition is open to all until 21 January 2024 at the Musée d'Art Moderne in Paris. Tickets are free for under-18s and students of archaeology and art history. It costs €13.00 for visitors aged between 18 and 26.

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